Actualités

Lanceur d’alerte III : mise au point sur les procéduresmai 12, 2023
Lanceur d’alerte ? Entre Loi et Hiérarchie, faut-il vraiment choisir ?mai 12, 2023

Lanceur d’alerte : les professionnels du chiffre et les origines de la protection

L’un des premiers secteurs confrontés au dilemme entre le respect de la loi et les intérêts de la hiérarchie est bel et bien le secteur des professionnels du chiffre ! En effet, n’ayant bien souvent pas le luxe de pouvoir refuser des clients, il arrive qu’ils doivent représenter des acteurs économiques qui ne respectent pas les lois en matière d’impôt.

Afin de pallier à ce problème, l’État belge a publié la loi du 17 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux, du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, dite LAB. Cette loi transpose une Directive européenne (2015/849) plus ancienne de 2015.

Les obligations applicables aux professionnels du chiffre par la LAB

Par cette loi, toute une série d’obligations ont été mises en place, avec pour effet, d’engager la responsabilité pénale, civile et disciplinaire du comptable en cas de non-respect.

Ainsi les structures soumises à cette loi ont des obligations et des procédures à mettre en place en matière d’identification de clients et d’analyse de leurs activités économiques

De plus, cette loi constitue l’une des exceptions au secret professionnel :

En effet, les professionnels du chiffre sont, en principe, tenu au secret professionnel en vertu de l’article 453 du Code pénal. Cependant, la loi établit expressément une exception à ce principe.

Les professionnels du chiffre ont ainsi un devoir de vigilance constante. En cas de suspicion de blanchiment, ils sont tenus de dénoncer les clients concernés à la CTIF (via un formulaire spécifique) ou, à tout le moins, de pouvoir justifier de la raison pour laquelle ils ne l’ont pas fait.

Cette obligation concerne tant les professionnels du chiffre que les collaborateurs internes et externes travaillant au sein de leur cabinet.

Afin de donner les moyens à cette obligation d’être respectée, la LAB impose, notamment, à l’ensemble des professionnels du chiffre, de prévoir un canal de dénonciation garantissant l’anonymat.

Ce n’est qu’en 2019 que l’Union européenne généralisera ce principe de protection des lanceurs d’alerte à l’ensemble des acteurs économiques du marché européen (sous réserve du respect de certaines conditions).

Pour être complet en la matière, afin de lutter contre la fraude fiscale, les professionnels du chiffre ont également l’obligation de dénoncer aux autorités les éventuelles incohérences entre les données qu’ils possèdent et les données remplies dans le registre UBO. Mais dans ce cadre, aucune mesure de protection d’identité n’est prévue.

Disposition légale applicable – article 10 de la LAB

Comme mentionné ci-avant, l’ensemble des professionnels du chiffre a l’obligation de prévoir un canal de dénonciation anonyme (appelée canal de whistleblowing interne). Ainsi, les collaborateurs, internes, comme externes, du cabinet auront la possibilité de respecter leur obligation de dénonciation tout en gardant leur anonymat.

La loi précise que les signalements ne doivent pas transiter par la voie hiérarchique. Afin de ce faire, les professionnels du chiffre peuvent nommer une personne de confiance, qui sera spécifiquement chargée de réceptionner les signalements anonymes et en assurer le suivi.

Nous pouvons donc constater, ici, les prémices de la procédure applicable aujourd’hui et généralisée à l’ensemble des lanceurs d’alerte. En effet, les professionnels du chiffre ont, depuis bien avant la loi du 28 novembre 2022, l’obligation de prévoir un canal de signalement garantissant l’anonymat et l’obligation de nommer une personne de confiance distincte et indépendante de la direction qui sera chargée de l’analyse et du suivi des signalements (en matière de blanchiment). Il y a également des sanctions pénales et disciplinaires en cas de non-respect.  Autrement dit, la loi de 2022 ne leur impose pas tellement d’obligations supplémentaires par rapport à la LAB.

Qu’en est-il des obligations pour les petites structures dans lesquelles l’anonymat ne peut être garanti ?

Si, au vu de la taille du cabinet, il est impossible de garantir l’anonymat, le manuel de procédure interne du cabinet doit préciser la procédure de dénonciation auprès du point de contact – lanceurs d’alerte de l’ITAA, en remplacement d’un canal whistleblowing interne propre.

Il faudra expressément indiquer, dans le manuel de procédures, que :

  • L’organisation interne du cabinet implique qu’une plainte relative à un dossier ne pourra émaner que du collaborateur qui en est le gestionnaire. Dans un tel cas, la protection de son anonymat ne pourra pas être assurée.
  • Le collaborateur ou le membre du personnel pourra s’adresser directement à l’ITAA qui a mis en place un Point de Contact – Lanceurs d’alerte conformément à l’article 90 LAB. (https://www.itaa.be/fr/point-de-contact-lanceur-dalerte/ )

ATTENTION :

Les petites structures ne sont pas pour autant dispensées des autres obligations de la LAB, comme par exemple, l’obligation de vigilance des entités assujetties. Ainsi, même les petites structures devront nommer un responsable du respect des obligations en matière de loi anti-blanchiment (=responsable AMLCO), qui devra, notamment, signaler les soupçons qu’il porterait à l’encontre de l’un de ses clients, directement à la CTIF.

Cas particulier : les cabinets unipersonnels

Garantir l’anonymat d’une dénonciation dans un cabinet unipersonnel n’a bien entendu aucun sens.

Cependant, en tant que professionnel du chiffre, vous restez soumis à la LAB de sorte que vous êtes tenu à un devoir d’identification de vos clients, ainsi qu’un devoir de vigilance constante. En cas de suspicion de blanchiment, vous devez, tout comme n’importe quelle autre structure soumise à la LAB, dénoncer votre client à la CTIF (via un formulaire spécifique) ou, à tout le moins, pouvoir justifier de la raison pour laquelle vous ne l’avez pas fait.

Sachez que la responsabilité des professionnels en la matière est, de manière générale, jugée avec davantage de sévérité par les tribunaux.

Conclusion

L’un des principaux objectifs de nos autorités est de lutter contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent. Le professionnel du chiffre étant l’un des piliers fondamentaux sur lequel repose l’économie, l’État lui impose toujours plus d’obligations en matière de lutte anti-blanchiment.

Malgré toute cette charge supplémentaire, on ne peut que s’indigner devant le traitement qui lui est réservé, ne laissant à ce dernier aucune marge d’erreur.

Alors que le droit pénal présume toujours, jusqu’à preuve du contraire, de l’innocence de la personne poursuivie … la LAB, quant à elle, permet de poursuivre le professionnel du chiffre, en fonction de ce qu’il savait ou devait savoir. Cependant, les critères permettant de déterminer ce qui doit être connu par les professionnels sont si élevés que cela instaure, dans les faits, une quasi-culpabilité d’office, et ce quelles que soient les circonstances.

C’est d’autant plus grave que les professionnels du chiffre ne disposent d’aucune protection d’identité, la garantie d’anonymat n’étant prévu nulle part ! Même si la CTIF ne donnera jamais l’identité d’un lanceur d’alerte, les agents du SPF finances, eux, n’ont aucune obligation de la préserver. Ainsi le professionnel du chiffre qui dénoncerait une discordance entre le registre UBO d’un client et les données qu’ils possèdent verrait son identité mentionnée dans la demande de renseignement envoyée au client concerné. C’est un comble quand on sait que l’État a justement renforcé les mesures de protection à l’égard des agents du SPF Finances au regard des risques encourus.

En fin de compte, les professionnels du chiffre sont, à l’instar d’Ulysse qui a dû voguer de Charybde en Scylla, confrontés à un véritable dilemme entre, soit subir les représailles des autorités, soit subir les représailles de leurs clients !

Sources et liens externes :

Article ITAA sur l’obligation de mettre en place un canal whistleblowing interne:

https://www.blogitaa.be/fr/2022/09/12/position-de-litaa-est-il-obligatoire-de-mettre-en-place-un-canal-anonyme-specifique-et-independant-pour-signaler-les-infractions-a-la-lab-au-sein-de-tout-cabinet/

Article ECHO sur le registre UBO

https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/economie/une-nouvelle-mesure-anti-blanchiment-inquiete-les-comptables/10305895.html

Déclaration à la CTIF :

https://www.ctif-cfi.be/index.php/fr/formulaire-de-declaration