Édito | La Réforme ARIZONA : Quand l’État sème lui-même l’insécurité juridique
À peine avaient-elles germé que déjà, elles sont arrachées. La réforme fiscale du gouvernement ARIZONA, présentée comme un « tournant historique » pour la Belgique, ressemble de plus en plus à une opération de grande confusion. En abrogeant des mesures qui, pour certaines, n’avaient pas encore eu le temps d’entrer pleinement en vigueur – comme le nouveau régime fiscal des droits d’auteur, certaines procédures de régularisation ou les mécanismes inspirés des anciennes DLU (Déclarations Libératoires Uniques) –, l’exécutif donne un signal pour le moins troublant : dans notre pays, la stabilité normative devient un luxe.
Ce n’est pas seulement une question de technique fiscale. C’est une question de confiance fondamentale entre l’État et ses citoyens. Quand des règles fiscales changent avant même d’avoir été correctement appliquées, les contribuables – qu’ils soient particuliers, entrepreneurs, ou investisseurs – se retrouvent dans une incertitude permanente. Comment construire une stratégie patrimoniale ou entrepreneuriale viable quand les bases fiscales peuvent être balayées au gré des équilibres politiques du moment ?
Le « nouveau » régime des droits d’auteur adopté en 2023 devait donner un cadre plus clair après des années d’ambiguïté. L’exclusion du monde informatique avait immédiatement fait vaciller le cadre juridique en mettant au banc des accusés des milliers de travailleurs de l’économie créative. Un accord gouvernemental plus loin avec les mêmes partis politiques et le régime fiscal des droits d’auteur est à nouveau élargi afin de mettre fin à la discrimination existante entre les professions du numérique et les autres professions.
Quant aux procédures de régularisation, l’absence de cadre légal et normatif (depuis le 31 décembre 2023) à créer un vide, à la fois juridique et pratique, pour ceux qui cherchaient à régulariser leur situation en toute transparence. Depuis le 1er janvier 2024, la situation était « kafkaïenne”, surtout en cas d’héritage. Depuis la fin de cette quatrième DLU, les parquets, de même que l’ISI, refusent en effet de traiter les dossiers de régularisation. D’un coup de baguette magique, voilà une DLU 5 qui ressuscite, avec un taux quelque peu prohibitif de 45%, les dispositions initialement permanentes de la DLU quater. Certaines banques refusent aujourd’hui même des capitaux prescrits, lesquels n’étaient pas régularisables aux termes des deux premières DLU, alors même que le contribuable a effectué une régularisation en bonne et due forme.
Le pire est encore à venir : afin de répondre à une pénurie de personnel, l’ancien ministre des Finances avait étendu significativement les délais d’enquête et d’investigation instaurés en 2023. Alors qu’ils ne sont pas encore expirés, le nouveau gouvernement se propose de revenir presqu’au « au pristin état » qui prévalait jusqu’au 31 décembre 2022. Là encore, l’entrée en vigueur d’une telle disposition pose question. Il faut absolument éviter qu’un exercice d’imposition puisse encore être contrôlé alors que l’exercice subséquent est prescrit.
Le paradoxe est cruel : en voulant « moderniser » la fiscalité, le gouvernement ARIZONA creuse un peu plus la défiance envers l’État de droit. La sécurité juridique, principe essentiel dans toute démocratie mature, semble sacrifiée sur l’autel de l’agenda politique et budgétaire. Et la Belgique continue ainsi de cultiver son image de laboratoire instable, où il est souvent plus sage d’attendre – ou de fuir – que d’investir ou de s’engager.
Une réforme fiscale peut être nécessaire. Elle doit être ambitieuse, c’est entendu. Mais elle ne peut être improvisée. Or, ce que révèle cette réforme, c’est une dangereuse tendance à légiférer dans l’urgence, sans véritable étude d’impact ni réelle concertation avec les acteurs du terrain.
Dans un monde où les entreprises et les citoyens attendent de la prévisibilité et de la lisibilité, la Belgique, une fois de plus, risque de se tirer une balle dans le pied. À force de courir après des réformes sans cohérence ni continuité, notre pays ne fait que renforcer l’insécurité juridique qui, à terme, pénalise tout le monde. Le gouvernement ARIZONA voulait marquer l’histoire fiscale de son empreinte. Il risque surtout de laisser un goût amer d’instabilité chronique. Gardons toutefois un brin d’optimisme dès lors que le gouvernement Arizona nous promet la mise en place d’une nouvelle charte du contribuable visant à rétablir la relation entre les contribuables et le fisc.
François-Christophe MATHIEU
administrateur
Publication : 28/04/2025